Le langage construit une réalité ou des réalités, et ce d’autant plus à l’heure du machinique.

Est-ce que le numérique influe sur le langage ? Laisse-t-il la place à des ruptures, à des irrégularités de la langue qui signent une langue, une personnalité ?

Les langues, à travers le monde sont-elles des passerelles, des limites entre nous et le monde ?

Cécile Babiole, Magali Desbazeille, Antoine Schmitt, sont des pionniers des arts numériques en France et ouvrent de manière symbolique la première exposition artistique de la Fondation.

Dès les années 90, ces artistes se sont emparés des outils numériques, s’inscrivant eux-mêmes dans une histoire déjà très longue des arts liés aux technologies.

Critiques, observateurs, activistes dans leurs pratiques, chacun d’eux apporte un regard singulier et souvent ironique sur les médias d’aujourd’hui. Image, son, interactivité, chaque média est exploré, disséqué, interrogé, le plus souvent avec une distance ironique.

Il nous a semblé important d’écrire le point de départ de cette programmation avec ces trois artistes tous issus de cette même génération mais avec chacun un regard à la fois pertinent et impertinent sur les nouveaux medias.

Du cyberféminisme de Cécile Babiole, aux performances pleines d’humour et d’intelligence de Magali Desbazeille et aux réflexions sur l’essence du numérique avec Antoine Schmitt, une première pierre est posée, une réflexion sur le langage. 

Antoine Schmitt, Psychic

2004

Installation interactive

Ordinateur, programme spécifique, caméra de surveillance, vidéoprojecteur, hauts-parleurs

Psychic « voit » les spectateurs et décrit ce qu’elle voit par des phrases qui s’écrivent en temps réel sur le mur. Le texte s’affiche lettre à lettre, comme s’il était tapé sur une ancienne machine à écrire. On entend le son si caractéristique de cette machine, donnant ainsi une dimension paradoxale au dispositif : à la fois ancien (une mécanographie) et contemporain (une « intelligence artificielle » invisible mais agissante). Ce dispositif étrange perçoit le monde un peu différemment de nous : il voit mal mais il est très sensible aux états internes et aux motivations des spectateurs.

Magali Desbazeille, Les Mobinautes latinisés

2013

Photos-objets

De la diffusion mondiale de l’alphabet latin par un simple outil de communication : le téléphone à touches. Ou comment Chinois, Coréens, Russes, Grecs, Algériens, Marocains sont obligés de latiniser leur langue pour envoyer des SMS.

En 2013, Magali Desbazeille a réuni dans une installation comme des photographies de famille, des paroles de mobinautes. Ils relatent leur latinisation massive engendrée par l’usage du téléphone à touches depuis le début du millénaire, partant d’univers linguistiques différents dans leurs graphies alphabétiques ou idéogrammatiques. Qu’en est-il en 2022 de cette latinisation ? Comment certains jonglent-ils entre plusieurs langues et plusieurs alphabets du monde ?

Cécile Babiole, Euh…Disfluences

2015

Vidéo monobande (boucle, 8min.30)

Contrairement à l’écrit, l’oral est parsemé de petites hésitations, répétitions, allongements syllabiques, qui viennent perturber la fluidité de la parole. Ces discontinuités sont appelées «disfluences ». Elles ont pour fonction de faire patienter l’interlocuteur pendant l’élaboration du discours, elles traduisent les émotions, le stress mais aussi le profil sociologique du locuteur. En apparence disruptives, ces failles du discours sont en fait des liants dans l’enchaînement des idées en cours d’énonciation. Elles sont le propre de l’oralité, même les communicants les mieux entraînés ne peuvent y échapper.

À ce jour, les logiciels de transcription automatique basés sur l’intelligence artificielle sont encore peu capables de prendre en compte les disfluences, et font de cette particularité humaine une forme de résistance au nouveau régime tout numérique qui envahit le quotidien.

Réalisée et montée à partir d’un entretien avec Olivier Baude, docteur en science du langage et directeur scientifique de l’Observatoire des pratiques linguistiques (DGLFLF), la vidéo Euh… ! Disfluences met au premier plan les ratés de la parole et les rend perceptibles grâce à un sous-titrage créé à cet effet.